Les éditions Dupuis ont-elles le droit de faire une suite pour Gaston Lagaffe ?
En 1992, André Franquin décide de céder ses personnages et leurs droits. Il fait rédiger, pour sa propre société, un contrat reprenant les grands principes d'un précédent contrat qu'il a déjà signé, quelques années auparavant, pour vendre le Marsupilami.
L'arbitrage reconnaît donc qu'il n'y a aucun doute sur le fait qu'André Franquin a pleinement souhaité la vente de son personnage et la modalisation de son droit moral. D'autant qu'il valide deux fois cette décision, en tant qu'auteur mais aussi en tant que gérant de la Franquin S.A. Que ce contrat, comme dans le contrat portant sur le Marsupilami, formule dans des termes très clairs le droit de réaliser de "nouveaux albums dessinés par un autre artiste qu'André Franquin". Et que créer des suites à Gaston Lagaffe est d'ailleurs la seule raison capable d'expliquer le montant élevé de la transaction.
Pourquoi un arbitrage a eu lieu et quel en est le résultat ?
Isabelle Franquin et les éditions Dupuis n'étant pas d'accord sur l'interprétation du contrat signé par André Franquin en 1992 par lequel il vend son personnage Gaston, ses droits d'exploitation (droits d'édition, audio, merchandising...) et le droit de faire des suites. D'un commun accord, elles ont désigné un arbitre pour trancher définitivement cette question de faire des suites de Gaston.
La sentence arbitrale reconnaît que le contrat de 1992 est clair et qu'André Franquin désire vendre son personnage Gaston, ses droits d'exploitation (droits d'édition, audio, merchandising...) et le droit de faire des suites. L'arbitre a donc reconnu non seulement le droit de Dupuis d'éditer des suites de Gaston mais il a aussi plus spécifiquement autorisé la publication de l'album de Delaf.
Est-ce que le droit moral est respecté ?
C'est un contrat de droit belge, droit qui permet d'aménager l'exercice de son droit moral, dans lequel André Franquin a précisé très clairement que les éditions Dupuis ont le droit de faire des suites de Gaston pour autant qu'elles doivent lui soumettre les projets pour approbation et qu'il ne peut faire que des remarques d'ordre éthique et artistique.
Sa fille, Isabelle Franquin, ayant hérité de ce droit moral, a reçu les planches de l'album « Le retour de Lagaffe » dessiné et scénarisé par Delaf mais n'a pas souhaité les commenter. La sentence arbitrale rendue le 30 mai 2023 a définitivement tranché le litige existant indiquant que « l'édition, la publication et la commercialisation de cet album est licite » et que Dupuis a le droit de faire des suites de Gaston.
André Franquin a dit qu'il ne voulait pas que quelqu'un fasse de suite pour Gaston ?
En réalité, la situation est bien plus complexe et c'est pour cette raison que les interviews d'André Franquin ont fait l'objet d'une étude par des arbitres. Ils ont constaté que la plupart des propos sont antérieurs à la vente, mais aussi que Franquin a parlé toute sa vie de son personnage au conditionnel : Il ne « préférerait pas » que le personnage vive sans lui... mais qu'il s'est toujours exprimé au présent de l'indicatif pour évoquer son testament : Il ne l'interdira jamais.
Enfin, les bandes enregistrées des interviews le plus souvent citées ont été analysées. Il ressort de cette analyse que les versions publiées ne retranscrivent pas toujours l'intégralité des propos enregistrés. Dans l'une d'entre elles, parmi les dernières interviews données dans sa vie, André Franquin annonce même chercher un repreneur et déclare possible une reprise prochaine de Gaston par un artiste qu'il vient d'approcher. Il voudrait que cette reprise se fasse dans la tradition de la transmission de maître à apprenti des ateliers de peintres, mais que l'artiste approché aurait pour le moment refusé.
Les prises de position d'André Franquin démontrent donc que sa volonté n'a jamais été monolithique. Et certains de ses derniers propos, comme le contrat qu'il fait rédiger, indiquent que sa disposition d'esprit était finalement de faire en sorte que la vie de Gaston se poursuive au-delà de sa propre création.
Pourquoi le dessin est si proche de celui d'André Franquin ?
Lorsqu'André Franquin a vendu son personnage du Marsupilami en 1986 (6 ans avant Gaston), Batem a repris le dessin dans le style d'André Franquin, à sa demande.
De même, les séries Modeste et Pompon (vendu en 1959) et Starters (vendu en 1961) qu'André Franquin a créées, ont été dessinées et scénarisées par d'autres après lui, dans son style graphique, toujours à sa demande. Pour toutes ces reprises de personnages qu'il a créées, André Franquin a toujours souhaité que cela se fasse dans la continuité de son style graphique.
Enfin, lorsque Franquin déclare dans une interview chercher un repreneur pour Gaston, il indique qu'il voudrait que cette reprise se fasse dans la tradition de la transmission de maître à apprenti des ateliers de peintres, qui implique une parenté esthétique forte avec le repreneur.